Dans un arrêt du 27 février 2020 dernier, la Cour de justice européenne a pu préciser les contours de la réglementation en vigueur en ce qui concerne l’obligation de reprise du personnel dans le cadre d’un changement de titulaire d’un marché public.
La question est commune dans les marchés de services qui permettent le bon fonctionnement des acheteurs publics. La reprise du personnel revêt une obligation souvent un peu floue pour les pouvoirs adjudicateurs qui est dans la présente affaire éclaircie et doit ainsi permettre de mieux délimiter les obligations de chacun.
La Cour a ainsi eu à préciser les dispositions européennes relatives au transfert d’entreprise notamment lors de la passation des marchés publics.
En l’espèce, en Allemagne, dans le cadre d’une procédure relative à la gestion du transport public, s’est posée la question des obligations reposant sur le nouveau titulaire et notamment des conditions de reprise du personnel de l’ancien concessionnaire ayant décidé de ne pas soumissionner à la nouvelle mise en concurrence.
La société sortante a décidé de cesser son activité et « a conclu un accord de réorganisation et de plan social avec son comité d’entreprise, cet accord prévoyant le versement d’indemnités de licenciement en l’absence d’offre de reprise par le nouvel adjudicataire ou de pertes de rémunération en cas de réembauche par ce dernier ».
Dans le cadre de cette reprise du personnel, un conducteur de bus, licencié par la société sortante puis réembauché par le nouveau titulaire, s’est trouvé lésé par son nouveau contrat, son nouvel employeur « ne reconnaissant pas les périodes antérieures de travail de l’intéressé, l’a classé au premier grade prévu par la convention collective applicable ». De même un autre conducteur de bus n’a lui pas été repris par ce même employeur.
Quels sont, dans ce contexte, les obligations du nouveau titulaire vis-à-vis du personnel initialement en charge de la gestion des transports publics ?
La directive 2001/23, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, définit les conditions de qualification de « transfert d’entreprise » qualification préalable à l’application des obligations envers le nouveau titulaire.
La directive dispose en son article 1er « […] est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ». Or en l’espèce, le nouveau titulaire n’a pas repris les autobus, moyen matériel de la bonne exploitation du service.
Ainsi, l’absence de reprise des moyens matériels permet-elle tout de même l’application de cette directive ?
Pour répondre à cette question, la Cour indique que pour qualifier ce transfert d’entreprise « il convient de préciser que la simple reprise, par une entité économique, de l’activité d’une autre entité économique ne permet pas de conclure au maintien de l’identité de cette dernière. En effet, l’identité d’une telle entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée. Cette identité ressort d’une pluralité indissociable d’éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l’organisation de son travail, ses méthodes d’exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d’exploitation à sa disposition »
Ainsi « la qualification de transfert suppose un certain nombre de constats d’ordre factuel, cette question devant être appréciée in concreto par la juridiction nationale à la lumière des critères dégagés par la Cour, ainsi que des objectifs poursuivis par la directive 2001/23, tels qu’énoncés, notamment, au considérant 3 de celle-ci ».
La Cour juge que la non reprise des autobus en tant que moyens matériels ne permet pas à elle seule d’enlever la qualification de transfert d’entreprise au sens de la directive 2001/23 et que cela est justifié au regard des obligations juridiques et environnementales imposées par le pouvoir adjudicateur.
Ainsi, « l’absence de reprise, par celle-ci, de ces moyens, propriétés de l’entité économique exerçant précédemment cette activité, en raison de contraintes juridiques, environnementales et techniques imposées par le pouvoir adjudicateur, ne saurait nécessairement faire obstacle à la qualification de cette reprise d’activité de transfert d’entreprise, dès lors que d’autres circonstances de fait, telles que la reprise de l’essentiel des effectifs et la poursuite, sans interruption, de ladite activité, permettent de caractériser le maintien de l’identité de l’entité économique concernée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier ».
Dans le cadre de ce transfert d’entreprise viendront dès lors s’appliquer les obligations pesant sur le nouveau titulaire et notamment l’article L1224-1 du Code du travail ou la convention collective applicable permettant d’élargir le champ d’application des obligations en ce qui concerne la reprise du personnel en droit français.
En savoir plus : cliquez-ici