« Le Conseil d’Etat apporte des précisions quant à la possibilité offerte par l’article L.2141-8 1° du code de la commande publique d’exclure un opérateur d’une procédure de passation. Cette décision, en droit et en fond, balaie cette notion dans sa quasi-totalité : de la date à partir de laquelle court la durée d’exclusion, au fait qu’il ne s’agisse que d’une simple faculté à la discrétion de l’acheteur, en passant par les arguments que peut faire valoir l’entreprise pour plaider son maintien dans la procédure. » Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 16/02/2024, 488524
De quoi parlons-nous ?
Nous parlons ici de l’article L.2141-8 1° qui permet à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui :
– Ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ;
Ou
– Ont entrepris d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu ;
Ou
– Ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution.
Quelques conditions encadrent cependant cette permission d’exclusion :
– L’acheteur doit permettre à l’entreprise de « montrer patte blanche » (article L.2141-11 du code de la commande publique)
– L’acheteur ne peut pas prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, des faits commis depuis plus de trois ans (article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014).
Quelle est l’histoire ?
C’est l’histoire d’une entreprise exclue en 2023 de la procédure de passation d’un marché du Département des Bouches du Rhône sur le fondement de l’article L.2141-8 1°. L’associé majoritaire avait été condamné en 2022 par le Tribunal correctionnel de Marseille, pour des faits de corruption active.
Après une annulation par le Tribunal administratif de Marseille de sa décision d’exclusion, le Département des Bouches-du-Rhône se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat statuant en référé sur l’annulation de l’ordonnance du Tribunal administratif.
Quels sont les arguments de défense de l’entreprise exclue ?
1. L’associé condamné n’est plus gérant de l’entreprise.
2. Les faits objets de la condamnation se sont déroulés entre 2012 et 2016.
3. Le Département n’a pas écarté cette même entreprise lors de procédures postérieures à la date de condamnation dudit associé.
Qu’en pense le Conseil d’Etat ?
Le Conseil d’Etat répond aux trois arguments de l’entreprise évincée et conclut à la légalité de la décision d’exclusion. Il annule l’ordonnance du Tribunal administratif et tranche au fond en rejetant la demande en référé de l’entreprise. Il précise aussi les modalités d’exclusion de la procédure prévue par l’article L.2141-8 1° du code de la commande publique :
1. L’associé étant toujours majoritaire, l’entreprise n’a pas démontré qu’il n’avait plus de pouvoir de contrôle et qu’il ne pouvait plus s’immiscer dans sa gestion.
2. La durée de l’exclusion des procédures de passation des marchés doit s’apprécier au regard de la date de la condamnation et non de la date des faits litigieux. Le Conseil d’Etat apporte une interprétation de la règle européenne qui parle de « condamnation définitive » et considère que l’on peut compter à partir de la date d’une condamnation qui n’est pas définitive.
3. L’exclusion prévue par le code de la commande publique en son article L.2141-8 1° n’est qu’une simple faculté ouverte à l’acheteur qui peut discrétionnairement en faire usage d’une procédure à l’autre à conditions identiques.
Le Conseil d’Etat apporte un éclairage en droit favorable aux acheteurs sur cette exclusion facultative des procédures de passation. Il interprète strictement les textes européens et français et rappelle que les entreprises doivent prouver avoir pris les mesures correctives suffisantes. Il n’opère donc qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’interprétation des motivations de l’acheteur pour exclure l’entreprise.